Sauver ou périr
"Nous sommes en guerre".
Cette épidémie induit une transformation temporaire des habitudes de chacun. Confinement, règles d'hygiène : le but est de contenir au mieux la propagation du virus dans la population.
En formation dans un CHU, les stages cliniques se sont interrompus et les réquisitions sont de rigueur. Les cadres de santé sondent les effectifs pour connaître la main d'œuvre disponible et les étudiants rentrent largement dans ce panel. Diabétique et soignant, je ne veux cacher ma pathologie à personne. C'est en tout cas la posture que j'adopte pour le moment quand j'ai les cadres de santé qui m'appelle. Au fil de la conversation, je signale juste que je suis diabétique. Je ne dis pas ça pour éviter d'aller au front mais pour ne pas qu'on me reproche de ne pas l'avoir dit.
Une dissonance s'installe en moi. D'un côté je suis formé pour prendre en charge des patients potentiellement infectés et puis de l'autre il y a ce tendon d'Achille qu'est le diabète. Cette affection est un facteur de risque lors d'infection en général et lors de l'infection à Coronavirus en particulier. Certains témoignages glanés ici et là me confirment ma fragilité face à ce virus en forme de couronne.
Pour le moment, ma réquisition n'est pas effective et si elle devait l'être la cadre de santé m'a signalé que je serais sollicité pour des tâches de logistique.
Les nouvelles se succèdent sans interruption et je lis le récit d'une connaissance ayant aussi la double casquette soignant/diabétique et qui se trouve dans un cluster du Grand Est.
"Je reçois la liste des personnes à risque. Je ne m’attarde pas sur le cas des diabétiques. Je serais à risque selon cette fichue liste. Je le refuse. Je suis parfaitement équilibré, je n’ai pas de sur-risque. Je ne supporterais pas de ne pas y être, de ne pas être pleinement investi face à cette crise. On est en guerre. Je dois jouer les soldats, c’est mon rôle, ma vocation, mon serment."
Ce texte rajoute de l'eau à mon moulin dissonant. Peut être que les situations ne sont pas totalement similaires mais je me sens tout de même mal à l'aise de rester confiner lorsque d'autres se battent becs et ongles sur le front. J'ai l'impression d'utiliser la maladie pour déserter le champ de bataille. Comment puis je perdre mes moyens le jours du match alors que j'ai donné tant d'énergie pendant les entraînements ?
Cette situation me fait également penser à un autre combat, celui de Haka, un jeune diabétique qui se bat sur le champ de bataille législatif afin de lutter pour que cette maladie n'empêche pas aux diabétiques de devenir pompier ou juge. J'adhère à 200% à son combat qu'il mène en parallèle de sa scolarité. Il a traversé la France en courant et en roulant à vélo et ainsi toucher le plus de députés sur sa route. Sa page Facebook est un véritable trombinoscope de l'Assemblée Nationale et du Sénat preuve de sa persévérance.
Mais une fois de plus, une dissonance s'installe en moi. Comment puis-je être d'accord pour que tous les métiers soient accessibles aux diabétiques mais accepter qu'un diabétique soignant soit déplacé sur des services "non covid"?
Sauver ou périr ? la devise des sapeurs pompiers succède historiquement à "mort en faisant son devoir" ... je ne veux pas appliquer cette devise à ma situation de soignant et n'étant pas pompier moi même.
Un bon sauveteur/secouriste/soignant est un sauveteur/secouriste/soignant prêt à mourir pour réaliser son devoir ?
Un bon sauveteur/secouriste/soignant n'est-il pas un sauveteur/secouriste/soignant vivant ?